Ahoru sembla réfléchir pendant un temps qui me parut infiniment long et ennuyeux. Je me demandai une seconde pourquoi je restais plantée là, dans l'attente d'une hypothétique réponse intéressante. Allait-il me lancer une répartie cinglante à laquelle je me ferais le cas échéant un plaisir de répondre ? Ou bien le verrais-je fondre en larmes comme un faible ? Peut-être le prince des enfers en personne allait-il tenter de me brûler de ses flammes pour avoir osé m'adresser à lui de la sorte.

- Merci à toi, Resli. Grâce à cette phrase, je suis redevenu l’archange apportant le mal sur terre qui te plaisait tant.

Je haussai un sourcil, me demandant quel raisonnement tordu lui était encore passé par la tête. Je m'attendais presque à voir Ahoru exécuter un magistral et ridicule rire diabolique. Pourquoi je sors avec ce mec, déjà ? Il se leva et, de son pouvoir, embrasa... l'eau. Cela devenait de plus en plus bizarre. Les gouttelettes enflammées et la cascade donnèrent un instant un caractère féerique au paysage puis ce fut terminé. Au moins, avait-il compris qu'il avait intérêt à se montrer un tant soit peu méchant.

- C'est pas trop tôt.

Après tout, je ne m'étais pas engagée dans une relation pour que ce soit tout mignon, fleur bleue et écœurant. Si l'amour émoussait ma méchanceté, m'empêchait de rester cette personne immonde que je détestais mais que j'aimais être, alors autant tout laisser tomber tout de suite, et tant pis si le cœur de l'autre se déchirait en des milliers de petits morceaux par la suite. Troisième règle de ma famille : ne jamais rien faire que pour soi-même. Paradoxalement, ces règles de vie des Slythereen me plaisaient alors que je haïssais ceux qui m'avaient engendrée, au point de renier mon nom.

- Mais sache que je ne tiens pas à changer de caractère parce que je sors avec une lavette.

Le temps des câlineries et des mots doux était bel et bien fini. On peut oublier sa nature un moment mais la renier est impossible. Chassez le naturel, il revient au galop. Autant de maximes qui, je m'en rendais compte, étaient parfaitement véridiques. Je n'avais jamais été une gentille amante, une petite amie attentionnée et pleine de compassion, une douce princesse qu'on cajole, une jeune fille timide rougissant au moindre compliment. J'étais un bourreau en amour, une salope, une peste, une pomme au poison mortel et empoisonné qui étouffe et asphyxie jusqu'à la mort si on croque dedans sans précautions.
Les bons sentiments, la joie, la beauté intérieure, la bonté, le don de soi, l'empathie, les actions désintéressées étaient des concepts qui me donnaient envie de mettre la Terre à feu et à sang.
J'aimais l'adultère et le vice, la souffrance et la noirceur, le mal absolu, l'hypocrisie, le libertinage. Débauche, péché, profanation, viol, douleur, damnation, perversion, médisance, persiflage et diffamation étaient ce monde dans lequel j'aspirais à vivre en toute quiétude, me sentant dans mon élément.
J'aimais Ahoru, et c'était précisément pour ça que j'allais le faire souffrir, le reste ne dépendait que de lui