Flippy ne savait pas combien de temps il avait passé à fixer ses écrans de surveillance - pourtant, ce n'était pas dans ses habitudes de ne pas compter. Mais quand il reprit conscience du monde qui l'entourait, le crépuscule était déjà tombé.

Il aimait observer les gens. Ou du moins leurs représentations pixellisées. Examiner leurs comportements, en apprendre chaque jour plus sur eux - et en conséquent enrichir sa base de données. Il se surprenait également à essayer d'anticiper leurs réactions et de décrypter leurs pensées. Pourtant, malgré ses heures passées à étudier ses semblables, il ne parvenait pas à les comprendre. Il y avait toujours un petit détail qu'il n'arrivait pas à saisir, ce bout de code placé là par mégarde qui fait dysfonctionner tout l'algorithme.

Flippy ne comprenait pas.

Si les humains étaient tous comme des ordinateurs - un simple cerveau assorti d'un espace de stockage. Si chacun était conçu sur le même modèle, tout serait tellement plus simple.

Il avait passé une nouvelle journée à observer le genre humain - bien que Flippy n'était pas certain que les élèves puissent être catalogués en tant que tel. Encore une fois, il avait tenté de saisir ce qui lui échappait. Mais non. Il y avait toujours ce petit imprévu qui faisait beuger son système.

Pourquoi ne parvenait-il pas à comprendre ?

Il aimait bien les gens. Même s'il les trouvait inintéressants, il les aimait. Flippy se souvenait encore de sa petite enfance où il s'était déjà lassé du genre humain. Quand l'algorithme fonctionnait tout seul et où tout le monde était pareil. Il les comprenait, à ce moment-là. Dans l'académie, tout allait de travers. Les gens étaient étrange. Mais peut être l'était il, lui aussi.

Des bruits de pas le sortirent de ses réflexions. Personne n'était censé être à cet endroit à cette heure. Les élèves étaient interdits d'accès et les professeurs avaient gagné leurs chambres - il les voyait sur les écrans.
Flippy éteignit rapidement tous ses écrans et son regard dériva vers la porte.

Flippy est stupide. Flippy ne fait attention à rien. Flippy oublie qu’il vit dans le monde réel et que cela a des conséquences.
C'est de l'innocence, c'est de la bêtise. C'est un mélange des deux, c'est une association étrange et ça a des reflets verdâtres. Ça pue la candeur, et les gens en rient parce que Flippy doit ouvrir les yeux et apprendre à grandir. Ils sont narquois, le jeune homme est un gamin et eux ils sont plus grands et plus intelligents et la vie ça les connait.

Flippy, lui, c'est un idiot.
Les gens, eux, le sont encore plus.

Ils sont bêtes parce qu'ils croient qu'ils ne le sont pas, et Flippy se rit d'eux et de leur supériorité bancale. C'avait toujours été comme ça; Flippy observe. Il n'agit pas. Mais il rit en consultant sa base de données, il rit dans l'obscurité de sa lampe de bureau, il rit seul, il rit.
Flippy rit.
Des gens, et de leur bêtise.

« Hey, salut, moi c'est Ahoru. Il se passe quoi ici ? »

La question avait fusé comme une flèche et avait laissé derrière elle un long silence durant lequel Flippy tentait de rassembler ses pensées.
Première observation. C'est un jeune homme. Un élève. Ses traits ténébreux lui sont familiers. Toutes les données encodées à son sujet lui reviennent en pleine figure. Bam. Il ne rit pas. Les élèves ne sont pas des gens. Alors il ne rit pas.
Deuxième observation. L'élève ne le connait pas. Personne ne le connait.
Troisième observation. Il est dans sa chambre. Dans sa base secrète. Ne surtout pas se trahir.
Quatrième observation. Sa voix est coincée dans sa gorge.

Flippy se racle la gorge dans un son pathétique et tente de faire un pas.

« Il ne se passe... »

Chute. Flippy se prend un obstacle imaginaire et se ramasse sur un de ses ordinateurs bien réels. Le rideau de ténèbres laisse place à un écran lumineux, un mélodieux bip résonne et les engins sortent gentiment de leur état de veille un à un, révélant les visages endormis des élèves dans leur chambre.

« absolument rien... »

C'est un de ces moments où on a tellement pitié de Flippy qu'on s'en fout qu'il ait les cheveux verts et qu'on a envie de le prendre dans ses bras.