Il me fit languir encore un peu avant de me donner une explication. Je vis à son attitude qu'il hésitait à me parler de son projet et cela attisa encore plus ma curiosité.

- Euh, comment dire... Bah, il faut que tu sois prête à abandonner ton humanité et à devenir comme moi. Si tu acceptes, tu auras un poste si important que celui de ta famille sera dérisoire mais tu pourras toujours garder un lien avec eux, mais tu les domineras tous... Si tu vois où je veux en venir, Resli...

Je haussai un sourcil interrogateur, perplexe. Non, je ne voyais pas vraiment ou il voulait en venir, sa tirade était tout sauf claire et compréhensible, elle ressemblait à une feuille de brouillon sur laquelle on a griffonné distraitement pendant une heure de cours ou à une chambre d'adolescent dans un désordre indescriptible. Puis, il avait le culot de me dire que je devais renoncer à mon humanité - laquelle ? - et que je n'étais pas comme lui, là ?! Non, garde ton sang-froid, Resli, tu te focalises sur des détails sans importance. Ce qu'il me disait n'était pas incohérent, il fallait que je réfléchisse. Donc, récapitulons, Ahoru me proposait de :
1. Devenir un être comme lui, soit un démon.
2. D'avoir un poste élevé dans la hiérarchie des enfers.
3. De dominer les Slythereen.
Et, implicitement sous-entendu :
4. Passer l'éternité avec lui. Mais merde, j'ai que quinze ans, moi !
Et si on réunissait la tout ça voulait dire que...

- Tu me proposes de faire de moi... ta reine ?

J'avais été longue à la détente mais j'avais fini par comprendre. Je me sentais même un peu honteuse de ne pas avoir saisi plus tôt ce que voulais me dire Ahoru.

- Oui... mais tu as raison, c'est sûrement la pire idée que tu aies entendue...

Non, ce n'était pas la pire des propositions qu'on m'avait faite même si elle figurait en bonne place dans mon palmarès des idées les plus stupides. Pour moi, ce qu'il me suggérait là, c'était de passer d'une prison à une autre. Vivre en étant à la tête d'un empire sur Terre, ça revenait au même que de régner sur les enfers à un détail près : sur Terre, je savais que je serai un jour délivrée de toute emprise... après ma mort. Vivre pour toujours ne m'attirait guère si c'était pour être pieds et poings liés par des obligations royales et politiques jusqu'à la fin des temps. Bien sûr, il y avait Ahoru. Cependant l'égoïsme était une des mes principales qualités caractéristiques, c'était bête à dire et pourtant... même l'amour ne pourrait pas m'empêcher de penser avant tout à moi-même. Enfin, bref, il me fallait bien répondre à mon pauvre soupirant qui devait désespérer à l'idée que je ne veuille pas partir avec lui - comme si je pouvais y faire quelque chose.

- Non, elle est troisième juste après celle de mon petit frère qui a voulu me planter un couteau dans l'œil pour voir ce que ça ferait et celle d'un de mes précepteurs qui a voulu me faire enlever mon serpent pour m'apprendre à maîtriser mon pouvoir.

Particulièrement débile, cette dernière idée, par ailleurs. Il avait eu vite fait de se faire virer, ce prof. Quant à mon frère - qui détenait la palme d'or de la pire idée -, au départ, c'était parti d'une bonne intention. Il voulait me trouer les yeux pour « casser » mon pouvoir en même temps. Je n'eus pas été réfractaire à ce plan si je n'avais su que ça allait être très douloureux. Autrement, la cécité ne m'aurait pas tant dérangée que ça.

Mise en situation :
Mademoiselle, vous avez le choix entre être aveugle ou maudite, que choisissez-vous ?

Soudainement, j'eus envie de lâcher une connerie, de faire une bêtise, de prendre des risques pour m'amuser un peu. Et c'est ce que je fis.

Tu sais quoi ? dis-je en me retournant vers Ahoru. Si tu arrives à me faire dire que je t'aime, je te suis en enfer.

Un geste impulsif et irréfléchi, un pari osé, un défi à relever, un challenge pour tous les deux. Pis, d'toute manière, si je voulais pas céder, je cédais pas. Voilà le genre de chose qui allait pimenter notre relation, et pas qu'un peu.

Ahoru semblait, de son côté, fermement déterminé à « réussir » ce petit pari. En fait, pour moi, c'était surtout une façon de me fixer sur mes sentiments. Si je l'aimais vraiment, quoi de plus normal que de passer le restant de mes jours avec lui ? Mais justement, je n'étais pas sûre de moi, l'amour n'était pas une chose que mes professeurs particuliers avaient jugé utile de m'apprendre.

- OUIII...

Il n'allait tout de même pas se mettre à crier tout seule au milieu de... Non, ouf, heureusement.

- Enfin, d'accord, j'accepte ton défi mais, en attendant, on est toujours ensemble au moins ? Cela va pimenter notre couple cette petite compétition.

Il me demandait réellement si on était toujours en couple alors que son but était de me faire dire « je t'aime », là ? C'était une blague ou quoi ? Non, non, il avait l'air parfaitement sérieux - c'était ça le pire. Aaaah, les hommes... Puis, en plus, c'était pas censé être une compétition, juste une promesse un peu hasardeuse de ma part.

Bien sûr, jurk. N'oublie surtout pas que tu as ma marque dans le cou.

Je lui fis un nouveau clin d'œil et sourit.

Je ne sais pas pourquoi mais ma phrase lui plût. Bon, d'accord, il aimait bien l'idée que je le possède, information intéressante. Je note.

- Je n'oublierai pas, ne t'inquiète pas.

Il n'avait pas intérêt, de toute manière. Il se rhabilla - enfin - et laissa sa chemise ouverte. Pleine vue pour moi sur ses tablettes de ch... son torse musclé. Ahoru avait manifestement un problème avec les chemises et toutes les sortes de vêtements en général. Même avec les chaussures, il les avaient enfilées et n'avait pas jugé utile de nouer ses lacets - s'il tombait, je me foutrai bien de sa tronche, d'ailleurs. Nous partîmes, main dans la main, longeant la rive du lac miroitant à la faible lumière de la lune. Puis, petit à petit, nous nous enfoncèrent dans les profondeurs des bois. À un moment, nous tombâmes sur une clairière au milieu de laquelle se trouvait un bâtiment délabré. C'est quoi ce truc ? Un rayon lunaire l'éclaira un instant et je compris. Une chapelle en ruine !... Une chapelle avec des silhouettes à cornes sur les vitraux ? Une chapelle d'hérétiques ! Mais c'était absolument trop génial, cette chapelle avait probablement abrité des fous aux comportements lucifériens qui sacrifiaient des gens dans la cave à laquelle on accédait via une trappe poussiéreuse cachée sous l'autel et... Je ne pouvais plus me retenir, il fallait que je voie ça. Je commençai à courir.

- Owiiiii ! C'est trop koule ! Un temple satanique !

On aurait dit une gamine de six ans devant le château de la belle au bois dormant à Disneyland. À la différence près que, la fillette en question, elle s'émerveillait devant des paillettes brillantes, moi, c'était plutôt, devant ces traces de sang séché que j'apercevais là-bas.

Ahoru rentra à ma suite dans la petite église. À l'intérieur, tout était noirci par les marques de l'incendie qui avait dû ravager l'édifice... avec ses occupants. En effet, en regardant bien, on pouvait voir des traces et griffes diverses gravées dans les murs que le feu n'avait pu effacer. C'était comme pendant l'holocauste, ce grand moment historique pour les serviteurs du mal, les gens qui avaient brûlés vifs ici avaient vainement tenté de creuser dans la cloison qui les séparait de l'extérieur. Pathétique, cela va de soi. Ils auraient au moins pu accepter la mort sans opposer de résistance, ne serait-ce que pour faciliter la tâche de leur assassin. Je connaissais quelques tueurs à gages que les proies récalcitrantes énervaient, les victimes devraient plus se soucier des conditions de travail des meurtriers, franchement. Bref, tout ça pour dire que l'aura de la chapelle était effrayante - c'était presque si on entendait pas les cris des suppliciés dans le silence. Un petit coin sympa pour un pique-nique, en somme.

- Il s'est passé des choses horribles ici...

Enfin, horribles pour les personnes ayant péri sous les flammes. Moi, personnellement, leur sort m'indifférait. Je remarquai tout de même un fait singulier : les vitraux semblaient intacts, comme miraculeusement épargnés par le sinistre. Idem pour les fresques représentant Satan ou des quelconques démons. Cela confirmait ma théorie selon laquelle c'était un membre de la famille d'Ahoru qui avait fait le coup. Ce dernier pointa d'ailleurs du doigt un objet que je n'avais pas vu au milieu des décombres, lui aussi, par un heureux hasard, encore intact.

- Regarde, chér... enfin Resli, un vieux livre. On dirait de l'elfique, il est écrit, heu... Devenir un démon.

J'avais compris avant qu'il ne me le dise grâce à mes quelques rudiments d'elfique. Je n'avais par ailleurs jamais compris pourquoi on me faisait apprendre une langue imaginaire mais je n'avais pas vraiment le choix de mes études alors cela ne servait à rien de contester les matières sélectionnées pour moi par mes parents. Maintenant, je comprenais que la société que j'allais diriger touchait effectivement à tous les domaines, inclus celui du surnaturel. Je pris le bouquin et commençai par souffler sur l'énorme couche de poussière qui le recouvrait, pour ensuite le tendre à Ahoru.

- Ben, lis-le moi, chéri, que je sache ce qui risque de m'arriver.

Ça pouvait s'avérer utile comme lecture. Et surtout, on allait probablement aller s'asseoir tous les deux dans l'herbe fraîche pour être plus à l'aise pour lire. Je gardais un assez bon souvenir de la dernière fois que nous nous étions retrouvés ensemble autour d'un livre. Un très bon souvenir même... Je me remémorai cette après-midi où nous étions bien amusés, nous avions tué mon parrain démoniaque et nous avions vécu notre premier baiser.

- Ma RESLI.

Hum... Euh... Oui, bon, rapport choucroute. PASSONS.
À ma demande, nous sortîmes de la bâtisse, main dans la main et nous assîmes sous un arbre au tronc épais et noueux, entre deux racines énormes. C'était agréable comme endroit, avec une belle vue sur la chapelle des hérétiques juste en face, on avait une belle vue.

- Viens près de moi que je te fasse la lecture.

Je n'allais certainement pas me faire prier davantage, je m'allongeai contre Ahoru, ma tête posée sur son épaule, quelques mèches de cheveux noires se mêlant aux miennes. Il était toujours aussi froid mais ça ne me dérangeait pas le moins du monde, j'aimais ça. Il ouvrit le vieux grimoire poussiéreux et fit de grands yeux ronds, surpris.

- Regarde, il n'y a que des noms et des dates.

En effet, c'était un registre, une liste immense de... probablement tous ceux qui avaient été transformés en démons. Vu la taille de l'ouvrage, ils devaient bien être quelques centaines. Qu'est-ce qui pouvait bien inciter autant les mortels à vouloir vivre en enfer ? L'immortalité ? Le pouvoir ?... Oui, il y avait de fortes chances pour que ce soit ça. Mais bon, moi, ça ne me convainquait pas, j'étais plus exigeante.

- Ah oui, tiens. Regarde un peu à "S", je parie qu'Aahron y est inscrit.

Je me demandais quand même quel membre de la famille d'Ahoru avait massacré les fidèles de ce temple, et ce qu'ils avaient fait pour encourir la colère d'un être démoniaque.

Ahoru s'exécuta mais je remarquai que, bizarrement, une des pages du livre était écornée et noircie. À ce moment, j'aurais parié mon soutien-gorge que...

- "S","S"... Ah, voilà, j'ai trouvé Aahron, il a bien été transformé grâce au sang de... et merde la page est brulée...

Ben oui, comme par hasard. Bon, maintenant, au moins, nous savions qui avait gentiment cramé la chapelle avec les hérétiques et les bougies dedans et que feu mon non-regretté parrain avait été transformé par un bienfaiteur qui ne tenait pas à se faire connaître. Je me doutais bien que nous n'avions pas un vrai démon dans la famille, sinon, il n'aurait pas vraiment fait partie de la famille et vu que c'était très important de faire partie de la famille...

Toute à ma réflexion - particulièrement intéressante, admettons-le - je ne remarquai pas qu'Ahoru tournait les pages du grimoire avec de plus en plus de frénésie. Il s'arrêta finalement à la dernière page et fixa pendant une bonne minute le dernier nom inscrit, sur la dernière ligne, avec un air un peu comateux. Asae Shiro. Asae Shiro... Shiro... Réfléchis, Resli, on a déjà vu papa, ça ne peut donc être que... la petite sœur ! Euh, non, en fait, c'est peu probable. Restait donc : maman - ou mamie mais la plausibilité de cette thèse était largement discutable.

J'agitai la main devant les yeux d'Ahoru, qui ne broncha pas d'un cil. C'était donc définitif, mon petit copain était devenu un légume vert. À moins que... Mon cerveau venait de me souffler un mot plutôt curieux : compassion. D'autres suivirent, comme empathie, attendrissement, miséricorde,... Bref, un tas de mots et de concepts compliqués et déplaisants. Je n'allais quand même pas compatir à sa peine parce que môman avait été transformée en démon... Si ? Bon, c'était vrai que sa situation était peu enviable. Si sa mère était une humaine, il ne devait pas l'avoir vue fréquemment ces dernières années - ça m'aurait étonné que Papa Satan soit d'accord. En plus, vu l'air choqué qu'il arborait depuis deux bonnes minutes déjà, Ahoru ne devait même pas se douter qu'elle était en vie.

Je pris donc doucement le livre et le refermai avant de l'enlacer tendrement en le serrant contre mon cœur.

- C'est ta mère ?

Question inutile dont je connaissais par avance la réponse, mais bon, c'était mieux que de ne rien dire, non ?

Ahoru semblait totalement anéanti. Au début, j'eus un peu de mal à saisir pourquoi, cela ne m'avait presque fait ni chaud ni froid qu'il il y ait un démon dans ma famille, à moi. Cependant... sa mère était humaine, elle était probablement la seule chose qui le raccrochait encore à l'humanité. En essayant de me mettre à sa place, je me dis que j'aurais préféré la voir morte plutôt que transformée en un être sanguinaire.

- Oui... Je n'ai plus de partie humaine, je ne suis qu'un démon... J'ai beaucoup souffert de son absence et j'apprends qu'elle est en vie...

Souffrir de l'absence d'un parent ? Je connaissais. Ma mère à moi ne m'avait jamais réellement porté d'attention, trop accaparée qu'elle l'était par la gestion de la famille. Mon père était toujours parti et, lorsqu'il revenait, c'était au bras d'une de ses nombreuses maîtresses, il venait à peine nous dire « bonjour » à moi et à mes frères avant d'aller se claquemurer dans sa chambre, son bureau ou sa salle de bain - au choix. Donc oui, souffrir de l'absence des ses parents, je savais pertinemment bien ce que c'était. Au fil des années, j'avais arrêté d'espérer obtenir un tant soit peu d'amour de leur part, je m'étais blindée et j'avais appris à enfermer mes émotions à double-tour dans un coin sombre et reculé de mon cœur.

Une larme roula le long de la joue d'Ahoru, elle alla s'écraser sur mon bras. J'étais tiraillée entre l'envie de lui dire qu'il était parfaitement inconvenant de pleurer pour des gens tels que nous et celle de le réconforter du mieux que je pouvais. Habituellement, je serais déjà debout en train de l'invectiver pour qu'il se ressaisisse mais ce soir... Je ne pouvais tout bonnement pas faire ça, il fallait se soutenir, entre méchants. Je le serrai plus fort et lui chuchotai à l'oreille :

- C'est dur mais il faut que tu sois fort. La faiblesse n'est pas un luxe que les gens comme toi et moi peuvent se permettre... malheureusement.

En même temps que je prononçais ces mots, je me fis une promesse muette. Même si je ne le suis pas en enfer, j'y descendrais et je ferai tout pour alléger sa peine. Je tuerai sa mère de mes propres mains s'il le faut, et je n'aurais aucun remord. Parce que personne n'avait le droit de faire souffrir la personne que j'aimais, sauf moi, bien sûr.

Il se détacha de mon étreinte et essuya les dernières gouttelettes qui lui sillonnaient le visage. Il se reprend enfin, ce n'est pas trop tôt. Le réconfort, ça me rendait maussade et c'était encore pire si c'était qui le pratiquait, Ahoru ne connaissait pas sa chance. D'ailleurs, il n'était pas près de sitôt de me revoir éprouver ce qui pourrait s'apparenter à de la compassion.

- Heureusement que tu es là, toi, c'est grâce à toi que je peux devenir fort.

Je haussai nonchalamment les épaules. Normalement, il n'aurait pas dû avoir besoin de moi. Il me prit les mains et me regarda longuement. Par habitude, je détournai les yeux pour éviter d'avoir à croiser les siens, j'avais toujours une petite crainte que ça arrive. Il m'attira à lui et je me laissai aller dans ses bras, ses mains, au départ placées au niveau de ma taille, commencèrent à caresser doucement mon dos, seule une fine bande de tissus les séparait de ma peau. Je frissonnai et rosis aussitôt, Ahoru avait sans doute dû le sentir, collé à moi comme il l'était mais...

- Je ne suis pas excitée, juste très chatouilleuse.

M*rde, je viens de parler à voix haute. Il fallait vraiment que j'apprenne à tourner sept fois ma langue dans ma bouche avant de parler, ça me serait certainement plus que bénéfique. Et pour ne rien arranger, je rougis de plus belle.

- Euh... Je suis désolée, ce n'est pas ce que je voulais dire... enfin, si mais non, mais..., bafouillai-je

Resli, tu t'enfonces, c'est d'autant plus ridicule. Je n'osais même pas relever la tête, gênée de ma réaction irréfléchie et stupide, me demandant ce qu'Ahoru pouvait bien penser de moi à ce moment. Je n'arrivai plus à articuler le moindre son, moi qui, d'habitude, gardait toujours mon sang-froid en toutes circonstances.

Raté, Ahoru ne m'avait pas crue, c'était prévisible, un condamné sur sa chaise électrique s'en serait mieux sorti que moi.

- Je trouve tellement mignon quand tu bafouilles, tu sais, mais les mots sont souvent inutiles quand on ment. Mais t'inquiète, j'en comprends la raison.

En attendant, ce n'était pas pas trop difficile de deviner que j'étais complètement perdue et gênée, et un peu mal à l'aise, et pas sûre de ce que je voulais, et... Il coupa court mes pensées en m'embrassant. Ses lèvres étaient toujours aussi froides et douces, j'adorais ça, je lui rendis son baiser. Mais je me tétanisai lorsque je sentis sa main glisser sous mon T-shirt, parcourir ma peau sans que je l'y ai autorisée, pousser l'audace jusqu'à s'aventurer près de mes s...

- Non ! criai-je en le repoussant.

Je regrettai presque aussitôt ma réaction impulsive mais je ne pouvais pas revenir en arrière. Puis, Ahoru allait trop vite, trop... on sortait ensemble depuis deux jours ! Qu'est-ce qu'il me réservait encore comme surprise ? Le mariage au bout d'une semaine ? À vrai dire, c'était fort probable qu'il y ait déjà pensé... Moi, l'amour, je n'y connaissais rien, je ne savais pas comment on devait s'y prendre, je pris ma tête entre mes mains. Pourquoi ne me l'avait-on pas appris ? Pourquoi savais-je exactement ce qu'il fallait faire dans n'importe quelle situation sauf celle que j'étais en train de vivre en ce moment ? Je regardai Ahoru, je l'avais très certainement blessé.

- Je suis désolée, tout est beaucoup trop rapide.

Et je m'enfuis dans les bois en courant.

Les branches d'arbres me fouettaient le visage et je ne pensais même pas à me protéger de mes bras. La seule idée claire que j'avais en tête, c'était retenir mes sanglots : une Slythereen ne pleure pas, quelle que soit la situation, même seule dans sa chambre, même lorsque le désespoir la guette.

- RESLIIIIIIIIIII !!!!!!!!!!!! Tu es où ?

Son cri me parvint étouffé par la végétation de la forêt, et il n'eut que pour effet de donner une force nouvelle à mes jambes pour que je puisse fuir plus vite, il ne fallait pas qu'il me voie dans cet état. Alors je courus, à toute vitesse. C'était indigne d'une fille de mon rang mais nécessaire. Ma course s'arrêta brusquement au bord d'une petite cascade bien cachée au milieu des arbres centenaires. Je ne bougeai pas d'un cil, contemplant la lune qui se reflétait sur la surface miroitante du lac, pour la première fois, elle m'apporta un peu de réconfort. Après tout, cet astre ne faisait que réfléchir la lumière du soleil, il n'avait pas l'intention d'être lumineux, il n'avait pas choisi son destin, des êtres plus forts en avaient décidé à sa place.

Je m'assis sur une pierre plate, les jambes pressées contre la poitrine, le menton posé sur les genoux, les mains nouées autour des chevilles. Quelques mèches noires formèrent un rideau sombre devant mes yeux émeraude mais ne m'empêchèrent pas de scruter l'eau avec attention. Au bout de quelques minutes, je sentis une larme chaude s'échapper au coin de mes paupières, elle glisser le long de la roche où j'étais assise et se mêla aux eaux limpides du lac. Petit à petit, je me laissai bercer par le roulement régulier et doux des vaguelettes et je sombrais dans le sommeil, apaisée.

Un brusque mouvement d'air me tira de ma torpeur, je vis le reflet de deux grandes ailes noires s'approcher de moi puis, une étoffe douce à l'odeur que j'aurais reconnue entre mille se posa sur mes épaules. Après ça, il ne me toucha plus, comme appréhendant ma réaction. Mais il parla, et, plus que ses mots, le ton de sa voix transperça mon cœur.

- Je suis désolé pardonne-moi, ma chérie.

Que devais-je dire ? Je te pardonne n'était pas une phrase que j'aimais prononcer et pourtant, je l'avais déjà fait, je n'en voulais pas à Ahoru. J'étais surtout en colère contre moi-même, j'enrageais de ne rien connaître aux sentiments qui m'envahissaient, d'avoir sans cesse peur de commettre un bourde irréparable.

- Tais-toi et viens plutôt près de moi.

Le démon ailé vint s'asseoir près de moi, silencieusement. Il me prit et me serra contre lui tout en me caressant le bras. Un vent glacial se mit à souffler, troublant le calme de l'endroit et de cet instant, alors, Ahoru attrapa mes mains et rabattit ses grandes et douces ailes noires autour de nous. Il murmura :

- Je ne supporterais plus jamais de te voir me fuir, bébé.

À ces mots, je me dégageai prestement de son étreinte en ne manquant pas de le foudroyer du regard. Bébé ? Pensai-je. Bébé ?! Répétai-je. BÉBÉ ?! Rugit une voix dans ma tête. C'était le mot à ne, surtout, surtout pas dire à une fille, quoi qu'il arrive, encore moins à une fille de bonne famille. Ces années d'exil hors de son palais royal en enfer avaient ramolli ce garçon censé être un prince. D'ailleurs, où avaient bien pu disparaître ces règles de bonne conduite que j'avais aperçues lors de notre première entrevue ? Je me rendis soudain compte qu'Ahoru n'était qu'un vagabond qui ne connaissait strictement rien à la psychologie féminine et qui avait malencontreusement oublié ses bonnes manières dans son autre pantalon. À moins que ce ne soit dans cette chemise qu'il passait son temps à enlever pour un oui pour un non, j'en étais à me demander s'il n'était pas Taylor Laughtner déguisé, se croyant encore sur le plateau de Twilight. Je le fixai d'un air menaçant.

- Appelle-moi, encre une seule fois « bébé » et je te déplume avant de te faire manger ces longs appendices noirs qui te servent d'ailes, prononçai-je en détachant bien chaque syllabe.