C'était lors d'une matinée d'automne. Elle n'aimait pas vraiment l'automne. Elle n'appréciait pas l'orange, le rouge, le jaune... Ses talons hauts ne raffolaient pas de nager dans un amas de feuilles béantes. Non, elle n'aimait pas vraiment l'automne. Et pourtant, c'était en automne qu'elle allait commencer son nouveau travail de psychologue. Elle ne savait pas si la tâche allait être ardue ou non, mais elle avait quelques doutes. Plus bas dans la grande allée qui menait au Hall d'entrée de l'académie, elle avait vu des élèves se rouler dans les feuilles. "Je sors d'un asile, je rentre dans un nouveau", s'était-elle dit fébrilement. D'ailleurs, elle n'avait plus vu de feuilles de tout son petit trajet : enfin quelque chose qui lui convenait. Ses talons hauts émettaient un bruit de craquement sur les petits gravillons menant au bâtiment principal. Il était assez charmant, dans des tons bleus qui lui plaisaient. Cela lui rappelait les teintes des paons ; animal qu'elle vénérait par leur prestance et leur élégance. Pour une femme urbaine et civilisée comme elle, dire cela d'un animal de ferme était... étrange. Mais qu'importe, cet édifice lui rappelait les matinées passées à la ferme environnante de sa petite bourgade. Elle attendait, paisiblement, sur la branche d'un arbre, que la ferme se réveille. Elle voulait surtout voir le paon faire la roue, comme s'il s'étirait après avoir bien dormi.

Avant de grimper le perron, notre jeune demoiselle avait fixé le ciel le temps de quelques secondes. Gabrielle avait prié. Pas en Dieu, en elle. «Gabrielle, donne-moi la force de continuer. Parce que quand je suis seule, tu es là, je ne peux compter que sur toi». Sur le panneau d'administration, il n'y avait rien de marqué. Le directeur ne lui avait rien dit auparavant, c'était un gardien des dortoirs qui lui avait donné l'emplacement de sa chambre. Elle souffla, blasée, par ce début de journée qui s'annonçait pénible. Soudain, les deux élèves aux feuilles arrivèrent en trombe dans le couloir, bousculant cette fine fleur, très légèrement agacée -le maintenant, c'était mauvais signe-. Inévitablement, elle tomba. Difficile de tenir debout sur des talons de 12 centimètres après une telle secousse.
C'était lors d'une matinée d'automne. Elle n'aimait pas vraiment l'automne. Elle était à terre, blessée dans sa nouvelle autorité.

C'est pas facile de s'y retrouver, dans cette école. Se baladant ici et là, Mizuki, donc moi, se retrouva dans le hall d'entrée. Observant un dois de plus à travers une fenêtre de cet établissement, je vis une fois de plus le même spectacle : des feuilles tombantes, un festival de couleurs chaudes. Je préfère l'hiver. C'est vrai que l'automne c'est beau, mais pluvieux. Je haie la pluie. L'hiver. La saison de neige tombante. La saison fraîche, ou rentrer dans une couette, boire une boisson chaudes, et toutes les petites choses de ce genre deviennent de vrais plaisirs. Lire un livre. Observer la neige tomber. Je retombe dans mon enfance, en Russie ou la neige était abondante, et où les paysages hivernaux étaient magnifiques.
La présence d'une femme me sortit cependant de mes pensées. Cette femme n'était pas comme les autres, talons hauts, allure moderne, teint mât. Un très jolie femme qui peut-être fut mannequin. Ce qui attira le plus mon attention, c'est quand elle tomba, comme ça. Ca devait être difficile de marcher avec des talons si hauts, mais elle avait l'air d'avoir l'habitude. Peut-être était-elle fatiguée ? Quoi qu'il en soit, je ne pouvais la laisser et je suis vite allée vers elle. De près, on voyait qu'elle avait un visage fier, avec des traits bien dessinés. Je lui tendis la main en signe d'aide et je lui dis ces mots :
-Vous ne vous êtes pas fait mal mademoiselle ?
J'hésitais à sourire ou nom, mais après tout, elle aurait pu croire que je me moque d'elle, donc j'ai préféré garder mon expression naturelle.

Il lui était rare de tomber en talons. Après toutes ces années à marcher en stilletos, elle se pensait rassurée. Mais il y a toujours des sales gosses qui viennent vous gâcher votre exploit. Elle était en colère, peut-être même humiliée, dans son statut de femme de fer, de femme forte, de dame respectable. Heureusement, il n'y avait dans la salle qu'une fille un peu dans les nuages, comme si elle voguait vers un univers onirique rien qu'en contemplant l'horreur qu'est l'automne à travers une fenêtre. Étonnant. Elle s'approchait vers Gabrielle, tirée de son monde imaginaire, mélancolique et nostalgique, pour l'aider à se relever.
« - Vous ne vous êtes pas fait mal mademoiselle ? », m'a-t-elle dit.
Dès lors qu'elle eut prononcé cette phrase, Gabrielle espérait n'avoir pas relâché son visage, son regard fier, à la limite de l'arrogance. Elle se releva, s'aidant du bras de la petite fille. Elle ramassa son sac, une pièce de haut couture, en cuir rouge coquelicot. Plutôt reconnaissante, elle lâcha une moitié de sourire discret. Un exploit, pour Gabrielle. Surtout quand elle débarque dans un endroit inconnu.
« Je te remercie... Comment tu t'appelles, dis-moi ? », dit-elle d'une voix assurée.
Cette fille dégageait quelque chose de bon, selon la nouvelle psychologue. Au premier abord, elle paraissait froide, même glaciale, totalement ignorante du monde extérieur. Mais Gabrielle avait appris, avec le temps et ses nombreuses expériences humaines -souvent non recommandables-, à analyser les gens, les identifier au fond de leur être. Et cette fille était bonne. Elle en était sûre.

« Je te remercie... Comment tu t'appelles, dis-moi ? »
Ce fut la réponse de cette grande brune. Elle avait un petit sourire, je sentais bien qu'elle était gênée mais trop fière pour lâcher un sourire complet. Elle avait l'air gentille. Malgré ce visage fier, son allure stricte, d'elle émanait une aura particulière, mais positive.
Je répondis à sa question avec assez d’aisance, même si elle était une parfaite inconnue. Cela me surpris un peu moi-même.
- Je m'appelle Aylin Mizuki. Qui êtes-vous ? dis-je poliment.
Elle ne pouvait pas être une élève. Même si elle avait une peau ayant l'air jeune, même si elle était vive, elle restait tout de même trop âgée pour l'être. Peut-être était-ce une parente d'un élève ? Peut-être faisait-elle partie du personnel ? Il ne me semblait pas l'avoir déjà vue.
Je la regardais à présent dans son ensemble. Elle était vraiment très classe. Elle avait du gout. Le maquillage était sans reproche. Le seul reproche que j'aurai pu faire, c'est le blush qu'elle avait mis et qui rendait son visage plus stricte, mais peut-être était-ce l'effet attendu. N'importe qui aurai pu distinguer qu'elle prenait soin d'elle jusqu'au bout des ongles, comme on dit.

Gabrielle épousseta sa robe de dentelle noire et aux broderies dorées et élégantes. Elle portait cette magnifique pièce avec, vous l'aurez compris, de hauts talons. Elle avait une posture droite, fière, et un sourire reconnaissant sur les lèvres.
« - Je m'appelle Aylin Mizuki. Qui êtes-vous ? », avait-elle répondu. C'était un prénom joliment asiatique, sans prétention, aussi doux que la rosée du matin. Sa voix était envoûtante, sucrée et innocente. Cette fille paraissait tellement pure aux yeux de Gabrielle ! Elle était légèrement étonnée qu'elle donne son nom à une parfaite inconnue, qui est juste tombée de son piédestal. Elle était décidée à tirer profit de cette jeune fille, c'était de nature, chez elle. Mais elle voulait quand même l'aider, la découvrir, faire durer l'intrigue qui fut créée ce jour-là, par cette jeune fille, Aylin. Petite, un rien n'intéressait Gabrielle, c'était une fillette pleine de vie et très curieuse du monde qui l'entourait, et qu'elle verrait toute sa vie. En grandissant, en passant des étapes clés de sa vie, surmontant des imprévus déroutants, elle avait perdu cette soif d'apprendre de nouvelles choses. Mais lorsqu'elle croisa quelqu'un d'un tant sois peut mystérieux, cachottier ou tout simplement extraordinaire, elle savait le reconnaître. En rencontrant Aylin, dans ce hall peint d'une couleur aussi surprenante que l'indigo, son envie de percer à jour cette adolescente était comme une petite étincelle incandescente, finissant par devenir un brasier innommable.
« Je suis madame Jarmon, la nouvelle psychologue de l'académie. Je suis sûrement la personne en qui tu dois avoir le plus confiance ici, et qui a le plus confiance en toi ».

« Je suis madame Jarmon, la nouvelle psychologue de l'académie. Je suis sûrement la personne en qui tu dois avoir le plus confiance ici, et qui a le plus confiance en toi. »

Cette grande femme était donc psychologue. En l’occurrence, ma nouvelle psychologue, ainsi que de tous les autres élèves. Je fus assez surprise, par la profession qu'elle exerce, mais surtout par ce qu'elle me dit juste après.
« Je suis sûrement la personne en qui tu dois avoir le plus confiance ici, et qui a le plus confiance en toi. »
Je sais très bien ce qu'est un psychologue. Il aide certains à surmonter des difficultés, il soulage, il conseille, il écoute. Certains. Pour ma part, j'étais certaine d'être une psychologue pour moi-même. Ce que les autres me disaient, je le savais déjà. Les conseils que les autres donnaient étaient toujours les mêmes. A croire que finalement, la plupart des gens étaient de simples moutons, à penser de la même manière sur de mêmes sujets.
Dans cette école, je crois que c'est différent. Non, c'est certain. L'école elle-même est faite pour tout ces gens pas comme les autres. Peut-être trouverai-je ma place parmi ces personnalités diverses et variées, sortant de cette monotonie et ce brouillard intellectuel.
En tout cas, cette psychologue avait l'air de s'y connaitre dans son domaine. D'elle émanait une aura particulière. Je ne ne puis la décrire, mais il est certain qu'elle n'était pas « simple » psychologue. Je lui répondis, malgré ma manière de penser et les mille et unes pensées complexes que je pus avoir, par une phrase simple, une expression qui l'était tout autant.

-Enchantée, mademoiselle Jarmon.