Je me promenais dans l'aile est de l'académie, en pleine nuit, pour ne pas changer. Pour une fois, je ne préparais pas un sale coup - même si je n'excluais pas l'hypothèse qu'une idée brillante émerge lorsque je passerai près des salles de cours ou des casiers. Niark, niark. Mais, pour l'instant, je me contentais de déambuler dans les couloirs, goûtant au silence et savourant la chape de mystère qui s'abattait en chaque endroit tous les soirs. Je n'avais aucune envie de sortir à l'air libre ou d'aller à l'observatoire pour voir cette lune et son armée d'étoiles qui gâchait toute la majesté du ciel nocturne. Un jour, il faudra que je trouve un moyen de les éliminer. De plus, cet astre exécrable était souvent la source de poèmes mielleux, écrits par des poètes fleur bleue se croyant originaux et libres-penseurs. Bref, hors de question de mettre le nez dehors aujourd'hui ou bien je ne répondais plus de mes actes. Du coup, pour m'occuper, je me baladais dans l'école déserte, c'était rasoir mais il n'y avait rien de plus intéressant à faire ici le so...

- ...Mmmmph !

J'étouffai un cri de surprise. Je venais de trébucher sur un câble électrique ! Qu'est-ce que ça faisait là ?! Je l'attrapai, bien décidée à retrouver l'imbécile qui avait manqué de me faire tomber. À mon grand étonnement, le câble se prolongeait sur plusieurs dizaines de mètres jusqu'à la salle des fêtes, allant ensuite se perdre dans un cul de sac ordinaire. Pourtant, la porte d'une pièce au fond était ouverte et une pâle lueur s'en échappait. Quelqu'un d'autre que moi qui est réveillé à cette heure-ci, il prépare forcément un mauvais coup., pensai-je. Et personne, strictement personne n'avait le droit de marcher sur mes plates-bandes ! J'arrivai dans la pièce et la découvrit exiguë et... remplie d'écrans lumineux. L'antre d'un geek. Méprisable parce qu'il n'était pas capable de se décrocher de son ordinateur mais pas dangereux. Tant mieux, c'était facile de faire piquer une crise à un de ces accros à la technologie, il suffisait de les priver de leur joujous. Mais d'abord, tester un peu le pare-feu, qu'on rigole. Je m'assis confortablement sur le siège de bureau et commençai à pianoter sur le clavier.

Si Flippy n'avait pas une grande estime pour le directeur de l'établissement, il n'aurait jamais accepté cette tâche.

La salle des fêtes était un endroit déprimant pour un associal comme lui - de tout ce qu'il pouvait en dire, il avait fait tapisserie pendant le bal organisé en début d'année. Il se souvenait encore de la musique et de ses tympans douloureux pendant les trois jours qui suivirent, des lumières qui scintillaient dans tous les sens et des élèves qui dansaient comme des autistes sur la piste de danse.

La seule raison pour laquelle il avait accepté de déménager exceptionnellement pendant une nuit dans la salle des fêtes - Flippy ne comprenait d'ailleurs pas pourquoi ce lieu fut choisi. C'était parce que c'était le seul endroit plus ou moins spacieux où les élèves n'avaient pas le droit de se rendre. Le repère idéal pour un surveillant.

Il avait emmené chacun de ses écrans et de son matériel d'espionnage à l'aide de son pouvoir jusqu'à la grande salle circulaire. Il ne se sentait pas à l'aise - les souvenirs de la désastreuse cérémonie de début d'année ressurgirent. Le piège, les élèves qui se rassemblèrent pour ouvrir la porte, la révélation. Il avait été un des surveillants directs de l'examen. Il n'avait que dix huit ans et ressemblait à un élève, on l'avait donc assigné à la surveillance dans la salle même.

Il n'aimait pas y repenser. Flippy se souvenait de l'air paniqué des élèves et de l'affolement, de leur expression terrifiée. Il s'était ensuite demandé si le directeur était un sadique - ce qui fut confirmé quand on l'assigna à la salle des fêtes.

Il avait d'abord vérifié que chacun de ses écrans étaient effectifs - ensuite, il avait jeté un rapide coup d'oeil à ceux-ci. Mais avant d'avoir pu les examiner, il entendit un bruit de pas derrière lui. Les traits ténébreux qu'il aperçut en se retournant étaient enregistrés dans sa base de données: son nom, son identité, ses pouvoirs, son passé, tout.

Quand elle prit place sur son siège, son regard dériva automatiquement vers son oreille dissimulée par une mèche de cheveux charbonneuse. Flippy savait que la jeune fille avait tendance à être hautaine et légèrement supérieure - ou plutôt, que c'était une parfaite chieuse. Il savait également qu'il valait mieux être prudente avec elle, et que la jeune fille pouvait se montrer dangereuse si elle le voulait.

« Tu n'es pas censée être ici. »

C'était sorti tout seul, et Flippy s'infligea une claque mentale.
Ah, ce qu'il aimerait être dans un mmorpg et être capable de recommencer sa partie - ou du moins, sa journée.

Plus je regardais l'ordinateur, plus mes yeux s'arrondissaient, la personne à qui il appartenait avait réuni une quantité astronomique de renseignements sur chacun des élèves de l'école - et certains dont je ne connaissais même pas le prénom ! Ça pouvait être rudement intéressant... et extrêmement dangereux. Que savait-il de moi ? Comment avait-il obtenu ces informations ? Comptait-il s'en servir contre moi ? Qu...

- Tu n'es pas censée être ici.

Et paf. Grillée. J'aurais dû me douter qu'il y avait quelqu'un dans la pièce, c'était trop beau. En plus, il y avait de fortes chances pour que ce soit le geek qui avait crée cette banque de données. Bon d'accord, c'était forcément lui. Galère. Je n'avais même pas le temps de formater son disque dur ou de lui injecter un virus, j'étais coincée. Et puis, au fait, de quel droit il me disait que je ne pouvais pas être là ?

- Et alors ?

Pour le moment, je m'adressais à une masse sombre, et moi j'étais dans la lumière, aucun moyen de regarder mon « adversaire » dans les yeux. Ce nuisible me mettait presque mal à l'aise, il fallait l'éliminer au plus vite... ou trouver un moyen de le faire taire.