Une voiture avec chauffeur, ce fut mon dernier contact avec l'Inde. Avant ça, il y avait eu le voyage en avion, mais le chauffeur avait été payé par "papa", et c'était un indien pure souche. Ça faisait du bien d'avoir un visage familier après le trajet en avion, au milieu de ces centaines d'autres personnes blanches. C'était risible, que je me sente mal à l'aise parmi elles. J'étais moi-même plus pâle que mate. Le petit bâtard, la pauvre chose recueillie par les Nabarun par "compassion". Tssk. Ramassis de conneries, tout ça.
Après, tout n'avait été qu'une succession de paperasse, de contact avec la faune locale - les surveillants, les pions. Rien de bien intéressant, je m'étais contenté de sourire et de répondre poliment aux questions, de faire un peu d'humour pour les mettre à l'aise. Comme d'habitude. Ça marchait toujours si bien, le numéro du gentil garçon drôle. Les gens pouvaient être d'une naïveté, parfois... Une fois fini le ballet de ces mouches insignifiantes, j’avais été lâché dans la nature. Mes valises seraient montées à ma place, et j’étais dispensé de cours pour la journée.
Je me mis donc en quête de trouver quelque chose à faire. Non, mauvaise idée. Avant ça, établir un plan mental du déroulement idéal de la journée. Premièrement, trouver un gentil pigeon pour me faire découvrir l’académie. Sympathiser avec lui/elle, devenir son ami, et par son intermédiaire nouer d’autres liens. Il fallait donc bien choisir le pigeon. Un mauvais choix et c’était mal commencer la partie. Dans l’idéal, il me fallait une personne, peu importe son sexe, qui serait sociable – plus pratique pour les futures relations – mais aussi mignon et avec une intelligence dans la moyenne. Pas question de quelqu’un qui se méfierait trop au début, ou d’un asocial sans amis.
Je pris donc une pause appropriée pour la « chasse ». Je m’adossai nonchalamment contre le mur, arborai un sourire avenant et ouvrait des yeux un peu perdus. Un parfait mélange de présence et d’innocence. C’était assez simple, avec assez d’entraînement. Je passai ma main dans mes cheveux pour les ébouriffer un peu et parfaire ainsi le personnage. C’en était presque risible * Pauvre petit prince perdu… Petit prince des hypocrites. * Malgré le peu de monde dans les couloirs en cette fin de matinée ensoleillée, je finis par entendre des pas, en provenance de mon côté droit. Je me tournai vers le panneau d’affichage, feignant l’élève perdu . Avec ça, si personne ne m’abordait…

Cela faisait déjà plusieurs semaines maintenant que l'Hikikomori de la chambre F avait mit les pieds dans cette école, et pourtant .. le dernier cours auquel elle avait survécu sans perdre la boule fut l'heure de français. Et encore, même pas trente minutes à tenir correctement sur sa chaise. Et puis ça remonte à quand ? Deux, voir trois jours après son arrivée ?
En effet, la jeune fille n'avait rien foutu d'intelligent depuis son transfert; elle restait dans sa chambre, sans parler à ses colocataires pourtant si aimables, bien trop timide ou trop occupée pour faire le premier pas, parfois assise sur son lit ou bien allongée parterre sur un bon nombre de gros oreillers, pianotant sans relâche sur le clavier de son PC portable, neuf à première vue, avec un gros paquet de chips 3D -de chez Bénénuts !- à portée de main ainsi qu'un gobelet rempli de soda avec la petite paille qui va avec juste à côté d'elle.
Aujourd'hui ? Rien de passionnant sur Internet; toujours les mêmes blablas, racontars et autres histoires. Et puis, vu qu'elle a pas d'amis, pas vraiment d'ambiance sur les réseaux sociaux, à part Twitter certainement. Enfin rien de très excitant là maintenant, ce qui suscita un gros soupir chez l'adolescente qui engloutit par la suite une poignée de chips, sans retenue. Elle était seule dans la pièce, alors en même temps ..

Damn it, kss.. vociféra-t-elle pendant plusieurs minutes.

Brusquement, Nina se mit debout -en sachant qu'elle est H24 en pyjama- et partit dans la salle de bain pour s'y enfermer. Douche: ok. Cheveux: ok. Dents: ok. Uniforme: .. ok. Derniers détails: ooook. Elle en ressortit une demi-heure plus tard et vint se placer devant la porte de sa chambre, étant fermée: elle serra les poings, faisant craquer son cou, puis respira profondément avant d'expirer tout l'air emmagasiné dans ses poumons, comme si elle se préparait pour une bien belle bagarre.
Se sentant prête, elle saisit le poignet de la porte avec une main tremblante et là .. derrière cette porte .. LE COULOIR. Bleu, tout bleu. Affreusement bleu. A en devenir malade. A gauche, le bâtiment central, à droite, d'autres chambres: va pour la gauche.
Marchant dans un profond silence, sans précipitation, dans l'ombre, frôlant le mur en regardant ses pieds, la jeune fille voulait tout sauf se faire remarquer ou autre: elle voulait juste prendre "l'air", c'est tout.

Couloir interminable.