À chaque grande occasion, Ravenna aimait être bien habillée, et être présentable. Ça prolongeait le mensonge et le rendait plus crédible. Seulement, c'était la crise ! Il n'y avait plus beaucoup de personnes à arnaquer en se faisant passer pour le garde du corps. Alors, avant d'arriver à Lunacy avenue, Rav' n'avait pas grand-chose de neuf. Mais au fond, ça ne la dérangeait pas, ce n'était qu'une enveloppe, après tout. Pour ce « grand jour », Ravenna était habillée à la "bohémienne" comme une nomade, ce qu'elle était. Enfin, elle se prétendait plutôt « nomade urbaine », parce qu'elle ne quittait jamais la ville, elle détestait la campagne. Elle était vêtue d'un pull totalement usé et étiré, d'un short un tantinet vieillot (le porter en taille haute, c'était du made in 90's!), des collants baroques avec des chaussettes retroussées lisent de vin sur des bottes "motarde grise". Elle portait des mitaines en cuir, lit de vin. Elle n'aimait pas avoir les mains nues, ça la gênait. Elle n'était pas maquillée, du moins pas plus que d'habitude ; des yeux charbonneux et des cheveux rattachés en un chignon. Pour voyager, elle n'était accompagnée que d'une valise basique et d'un sac qu'elle avait piqué à Paris. Elle attendait patiemment, dans le hall d'entrée, qu'on vienne la chercher pour l'emmener on ne sait pas où. Assise sur une chaise maigrement ornementée, elle observait avec attention les alentours, mais abandonna vite l'exercice pour regarder les jardins, à travers une fenêtre ensoleillée malgré la saison. Soudain, une personne approcha, mais ne fit que passer. Elle regardait Ravenna d'un air si étonné que ça la faisait sourire, sans doute cet inconnu était surprit de l'avoir sans veste ni manteau, vu la température extérieure. Mais Rav' se fichait du froid ! Ayant grandi en Russie, elle ne craignait pas les basses températures. Une fois, elle était même restée toute une nuit emmitouflée dans la neige. Un gage d'enfant, elle devait dormir dehors sans aucune protection. Ça n'a fait que l'enrichir ! 
Dix minutes passèrent, puis quinze, puis vingt... Toujours personne. Elle aurait préféré arriver la nuit, elle aurait pu au moins avoir la compagnie de la nuit ! La demoiselle Russe se décida à s'aventurer dans l’immense bâtiment. Peut-être trouverait-elle quelqu'un avant d'avoir pu se perdre ?

C'était une bonne journée. Le genre de journées froides et claires qui chassent toutes les mauvaises pensées. En les glaçant je suppose. Ou alors à cause de l'espèce de vent qui soufflait. En tout cas je ne pensais plus vraiment à grand chose.
Mis à part le fait qu'il fallait que je retrouve ma chambre.
Facile à dire.

Mon sens de l'orientation avait toujours été déplorable. Ce qui, je l'avoue, est un handicap assez conséquent (et qui désespérait ma mère). Plusieurs fois, je m'étais perdue dans les villes que nous traversions avec le cirque. Je finissais par retrouver mon chemin, au bout d'un moment et grâce à l'aide de quelques autochtones, pas vraiment fréquentables pour la plupart. Mais il n'y a jamais eu d'accident vraiment mémorable.
Sauf ce jour ou un pompier bourré m'a retrouvé dormant dans une petite ruelle et a tenté de faire repartir mon coeur supposé mort en appuyant sur mon torse comme un ours atteint de névralgie. J'avais eu trois côtes cassées.
Mais j'avais toujours fini par retrouver mon chemin. Toujours.

Enfin bref, aujourd'hui était une bonne journée. Du coup, j'étais sensée avoir un minimum de chance. Je déambulais gaiement depuis une bonne heure déjà, dans le parc. Il est vraiment immense, ce parc. J'étais passée à côté du lac, et devant un petit bois, avant de retrouver la trace du grand bâtiment de l'académie. Kaze courrait à mes pieds, surexcité. La neige lui faisait toujours cet effet.
Ouais, il y avait de la neige. J'en étais même couverte, de mon grand chapeau à mes pieds nus devenus violets à cause du froid. Je n'avais pas mal. Ils redeviendraient normaux sous peu, ils étaient habitués à ce genre de conditions. Les chaussures, c'est pas fait pour moi.

Ma promenade dans la neige avait laissé des flocons sur mes vêtements et des gouttes perlant à mes cheveux. J'entrais dans le hall d'un pas décidé, et secouais ma tête -aspergent au passage le tapis de milliers de petits bouts de glace.
Il y avait une fille. Pas de manteau, pas l'air de souffrir du froid. Une panoplie de bohémienne et l'air perdu. Je lis fis un immense sourire et la rejoint en sautillant comme une gamine.

Bonsoir !

La fille a qui j'avais pourtant si gentiment dit bonjour était passée devant moi, en me regardant comme si j'étais sotte et laide. Je sentis mes yeux se remplir de larmes, et la vexation s'emparer de mon cervelet. Tant pis pour elle, si je n'étais pas assez bien, je ne lui parlerai jamais, jamais. Je pinçais les lèvres, et haussais les épaules. Nouvelle dans l'établissement, et elle se prenait déjà pour la reine ? Eh bien je... Je...
...
Je n'avais jamais été rancunière. Ni même vexable, en fait. Alors au bout de quelques secondes, il semblerait que j'avais utilisé tout mon stock de haine disponible pour les trois mois à venir.

Salut, excuse-moi mais je suis perdue... Tu peux me dire où sont les chambres ?

Je me retournais précipitamment, et me retrouvais nez-à-nez avec une adolescente boutonneuse. Mes yeux devinrent ronds comme des soucoupes et grands comme des pancakes. Je bredouillais;

Uuuh, oui, bonjour, c'est pas grave, je vais t'y emmener, suis moi...

Je crois avoir déjà précisé que me demander mon chemin était une très, très mauvaise idée. J'avais beau faire le chemin hall-dortoirs tous les jours deux à trois fois, le puzzle ne s'était toujours pas mis en place dans ma tête. Je re-posais mes yeux sur la fille à qui je parlais, et là, elle était redevenue la snob de tout à l'heure. Je hoquetais, surprise telle la loutre sautant sur un bout de bois non stable. J'avais fait un bond en arrière, effrayée par cette vision. Je rougis, m'excusais platement. Comme il convient de le faire, non ?

Puis je lui pris le bras et l'entraînais vers un couloir, à... Droite.

- Ooooh, fais pas ta mijaurée, conduis moi au chambre et on en parle plus !

Elle leva les yeux, se demandant comment elle avait fait pour tomber sur une fille comme ça. D'habitude, elle les sens bien, les gens. Et ça n'a pas changé ! Après tout, elle était seule, et elle a vu une âme égarée, elle était obligée d'y aller, non ? Toujours est-il que, maintenant, probablement, elles étaient perdues. Elle jeta un regard dans les pièces dont les portes étaient ouvertes, ne trouvant rien d'autre que des lits, des livres et des stylos. Personne, absolument ! Elle était plutôt choquée, étonnée de voir que ce lycée, qu'elle pensait être sa porte de sortie, était désert. Ravenna espéra à haute voix que cela n'était pas comme ça tout l'année, sinon elle ferait mieux de repartir chez ses parents. Elle était à peu près sûre qu'elle allait se faire tuer -littéralement-, mais tant pis.

- Dis moi, tu sais où tu vas n'est-ce pas ?

On pouvait entendre dans sa voix un léger tremblement témoignant de sa crainte d'être avec la mauvaise personne. Elle allait encore devoir se débrouiller et cela, franchement, elle en avait marre.

Non parce que franchement, cette pauvre fille, elle n'avait pas l'air d'avoir inventé le fil à couper le beurre. Raven ne s'était toujours pas remise de voir ses pieds nus, et l'idée de la voir marcher dans l'herbe, dans la terre, sur les pierres et dans le bâtiment lui donnait la nausée. Bien qu'aimant être libre, elle ne voulait pas faire une croix sur la propreté. Il ne manquerait plus que ça !

On va pas se mentir, j'étais complètement pommée. Pourquoi, bordel, pourquoi es-ce que j'avais décidé de l'emmener ? Je fis craquer mes phalanges. Oh, putaing. Ca détends.

Ooooh, fais pas ta mijaurée, conduis moi au chambre et on en parle plus !

Uh... Je tremblais. En fait, j'étais vaguement effrayée. Ou plutôt dans une situation inconfortable. Je fronçais les sourcils, pris un couloir à droite.

C'est bon, on y est... Presque...

Enfin sans doute.

Dis moi, tu sais où tu vas n'est-ce pas ?

Sick. Je venais de couiner à la façon d'une pauvre souris glissant sur une patinoire. Je me tournais lentement vers la fille, les larmes aux yeux.

... Nooooooon.

J'étais tout à fait incapable de mentir. Mes lèvres tremblaient. Je devais encore avoir l'air misérable; et priait intérieurement pour que quelqu'un vienne à ma rescousse. Quelqu'un de connu. Eliott, par exemple. Il connaît tous les recoins de l'école et il ne dirait rien à personne sur ma déchéance. Ce qui n'était pas forcément le cas de la fille.

Sans m'en rendre compte, on étais arrivées dans un endroit plutôt louche. Les portes étaient usées. La peinture des murs délavée. Le sol plein de trous. Les seules fenêtres étaient grillagées. Je marchais sur un bout de verre et laissais une trainée de sang derrière moi sans m'en rendre compte. Pourtant, tout d'un coup, j'étais apaisée. Cet endroit se sentais rien. Il n'y avait aucun bruit. Je fermais les yeux.