Je passai le portail de ma nouvelle école et rentrai dans le hall, les dernières recommandations de ma mère sur-protectrice encore en tête. Elle m'avait donné une montagne de nourriture et de boisson pour partir, comme si je faisais un long périple en Alaska en me répétant inlassablement les mêmes consignes.
N'oublie pas de bien manger, chérie, tu sais ce qui pourrait arriver autrement.
Concentre-toi aussi bien sur tes études, ce n'est pas parce que tu dois apprendre à contrôler ton don que tu dois te relâcher.
Ou encore.
Et ne traîne pas avec des gens trop louches, ne fais pas de bêtises.
À bien y réfléchir, d'ailleurs, ça donnait plus envie de faire des conneries dit comme ça... Pauvre maman ! Elle croyait vraiment que j'étais une jeune fille ingénue et influençable. Enfin, c'était ce que je lui avait fait croire quand elle m'avait surprise, une bouteille de vodka à la main, avec des amis fumant quelques joints - en plus, j'aimais pas ça, les pétards, beurk. Cette version lui plaisait plus que celle de sa petite fille qui s'apprêtait à se détacher du cocon maternel alors elle y avait volontiers accordé du crédit. La Fairy Dream School Academy, c'était une aubaine pour moi. J'allais finalement l'avoir, cette liberté dont je rêvais depuis toujours ! Un choc me ramena brusquement à la réalité.

- Oh, pardon, excu...

J'arrêtai ma phrase et éclatai de rire sous les regards surpris et pressés de s'éloigner de cette folle de quelques étudiants qui passaient par là. Je venais de m'excuser auprès... d'une colonne ! Être libre ne me libérerait pas de ma maladresse, apparemment. Drôle de phrase, tiens. Je me mis à chercher un panneau d'affichage ou un quelconque moyen de m'y retrouver dans cet énorme établissement, pas de chance, je ne trouvai rien qui puisse m'aider. Tant pis, je m'assis sur les marches du hall et renversai la tête en arrière. J'adorais observer les plafonds partout où j'allais, généralement, il y avait des choses vachement intéressantes en l'air qu'on ne pensait pas à regarder. Je ne fus pas déçue, la voûte, ici, était recouverte d'une gigantesque fresque dans tous les tons de bleu. Je restai là, les yeux rêveurs, à admirer l'immense peinture.

Toute à mes pensées, je faillis ne pas me rendre compte qu'une main était posée sur mon épaule et que quelqu'un me parlait. C'était une femme, ses cheveux et ses yeux étaient tous les deux gris. Étrange, elle n'avait pas l'air vieille pourtant.

- Bonjour, est-ce que tout va bien ? Je suis Hana, la surveillante du pensionnat.

Je fis des yeux ronds. Ben... Pourquoi ça n'irait pas ? Ah oui, je venais de me prendre un poteau de face, elle avait dû me voir et s'imaginer que j'étais une folle échappée de l'asile psychiatrique quand j'avais rigolé et elle allait probablement vouloir m'y renvoyer aussi sec. C'était bien ma vei... C'est bon, Line, arrête de te faire des films, elle te demande juste si tu vas bien. Oui, la voix dans ma tête avait raison, c'était simplement une gentille surveillante qui voulait savoir si je ne m'étais pas fait mal.

- Oui, ça va, j'ai l'habitude de me cogner, répondis-je avec un sourire, je m'appelle Line, je viens d'arriver.

J'hésitai un instant entre lui serrer la main ou lui faire la bise. Autant sympathiser tout de suite avec tout le monde, me dis-je. Et je lui dis bonjour comme si on se connaissait depuis toujours et qu'on s'appelait « vieille branche » quand on se rencontrait.

Cet endroit avait l'air vraiment sympa. Déjà si les membres du personnel venaient vous accueillir, comme ça, comme si c'était parfaitement normal, on ne faisait jamais ça dans les autres écoles, il ne fallait pas demander comment étaient les profs. Et j'avais pas aussi lu quelque part qu'on pouvait même sécher les cours ici ?

- Si tu souhaite te débarrasser de tes affaires personnelles, vas au fond du couloir de gauche, monte les escaliers qui mènent à la petite tour où se trouvent les dortoirs.

Je regardai vers la direction qu'elle m'indiquait et cherchai quelque chose qui me permettrait de le distinguer des autres couloirs bleus de cette école. Oui, le tableau là-bas ferait l'affaire. Je voulus la remercier mais elle ne m'en laissa pas le temps, me posant une question qui me laissa perplexe et me réjouit à la fois.

- J'aurais bien voulu savoir quel pouvoir tu possèdes ?

Mon pouvoir... J'avais presque oublié pourquoi j'étais venue ici. Je n'avais pas l'habitude d'en parler. Que feraient les gens si ils apprenaient que j'étais insensible à la douleur ? Ils me frapperaient sans aucun doute, juste pour tester ma résistance. Je deviendrais un animal de foire à qui on donne des coups de bâton pour observer sa réaction. Mais je pouvais faire confiance à Hana, non ? Tous les élèves ici étaient différents, ils n'essayeraient certainement pas de me faire mal, eux.

- Je contrôle mon système nerveux pour ne pas ressentir la douleur, répondis-je donc sans hésiter.

Je regardai la surveillante. Avait-elle, elle aussi, un don ? Il fallait en avoir un pour travailler dans une académie pareille, non ?

[i[- C'est un sacré don! Ça doit être très utile dans certains cas, mais j'imagine que tu ne le contrôles pas à la perfection, d'où ta présence ici![/i]

Elle ne croyait pas si bien dire. J'étais même bien loin de le contrôler, ce pouvoir, et cela m'avait déjà causé pas mal d'ennuis. J'hésitais souvent entre le gloussement amusé et le froncement de sourcil d'un air grave quand je repensais aux malaises qui m'arrivaient régulièrement. Une fois, j'étais tombée au beau milieu du réfectoire de mon école, envoyant valser mon plateau-repas, ceux de quelques camarades et les camarades en question, simplement parce que j'étais fatiguée et je ne m'en rendais pas compte. Mes jambes, par contre, elles, s'étaient avérées incapables de supporter mon poids plus longtemps et... paf.

- J'ai terminé mon service et je reprends dans une heure, est ce que tu as des questions par rapport à Lunacy Avenue, ou bien n'importe quoi d'autre que je puisse faire pour toi ?

Il y avait bien quelque chose mais je n'osais pas le demander. J'entendais encore ma mère me répéter que ce serait grossier, que ça ne se faisait pas, et tout le tralala. Oh, et puis zut, maman, tu m'énerves. Si je ne lui demandais rien, comment Hana pouvait-elle le deviner ? J'hésitai tout de même, je n'étais pas habituée à demander de l'aide, j'étais plutôt du genre à proposer la mienne.

- Ben... En fait, je ne connais pas du tout l'établissement... Tu voudrais bien me le faire visiter ?

Ne t'inquiète pas, maman, j'ai toute une batterie d'arguments pour justifier cette demande. D'abord, mon sens de l'orientation légendaire m'empêchera tous les matins d'arriver à l'heure en cours si je ne prends pas mes marques. Ensuite, je suis nouvelle, c'est normal qu'on me fasse faire le tour de l'académie, pas vrai ? En plus, je n'ai pas trouvé le plan, et ce n'est pas faute d'avoir cherché ! Bref, c'est légitimé, non ?