Il reprit ma main pour m'indiquer une page du livre. C'était une manie chez lui de tout le temps me toucher, ce n'était pas déplaisant, loin de là, mais c'était... anormal pour quelqu'un qui n'avait jamais de contact avec personne, amicaux ou physique.

- Regarde, c'est le démon qui a le même nom de famille que toi.

Aahron Slythereen. Je sursautai en voyant son portrait. Il n'avait aucun des traits de ma famille mais une chose était certaine : il était bel et bien démoniaque, ça se lisait sur son visage. Une aura mauvaise se dégageait de lui et un sourire carnassier était formé sur ses lèvres. Mais ce n'était pas ça qui m'avait interpellée, c'était ses yeux, grands, de couleur émeraude, exactement comme les miens. Je m'étais toujours demandée de qui je tenais ce regard bizarre et hypnotique, comme celui de personne d'autre chez les Slythereen, maintenant je le savais. Mais pourquoi avais-je les mêmes caractéristiques que cet homme ? Qu'avions-nous en commun ? Ahoru me reprit dans ses bras, encore cette marotte de vouloir me réconforter, ça ne lui sortirait donc jamais de la tête ? Je le laissai tout de même faire, car, si on omettait le fait qu'il m'étreignait pour me consoler de je-ne-sais-quoi, c'était assez agréable.

- Regarde son bras, il porte un tatouage qui est comme ta boucle d'oreille.

Oui, c'était le même symbole, celui de ma famille : le serpent. Mais ce qui était troublant, c'était que le sien représentait le serpent qui mord perpétuellement sa queue, formant ainsi un cercle, il était en touts points identique à mon anneau. J'avais raison, ce démon a des choses à m'apprendre sur mon pouvoir. En un éclair, ma décision fut prise, et, têtue comme je l'étais, je ne changerais pas d'avis.

- Il faut que je le rencontre.

Ma voix était forte, son ton déterminé. Je me fichais qu'Ahoru ne puisse pas retourner en enfer, il devait bien y avoir un moyen. Soit j'invoquerais moi-même Aahron, soit j'ouvrirais un portail vers les limbes grâce à la magie, j'avais vu des références à ces techniques dans des grimoires poussiéreux de la réserve interdite.

À ma grande surprise, il n'essaya pas de se dérober comme la dernière fois. Il sembla plutôt réfléchir et il fit ce petit mouvement avec ses yeux que j'avais remarqué et qui montrait qu'il se souvenait du passé. De quoi, je ne savais pas exactement, ça avait vraisemblablement un rapport avec le démon de ma famille, Aahron Slythereen. Il m'intriguait de plus en plus au fur et à mesure que je découvrais des choses sur lui.

- J'ai peut-être une solution. Je n'y avais pas pensé avant mais, maintenant que j'ai retrouvé mon anneau, je suis considéré aux yeux de tous comme étant l'héritier et je peut faire appeler n'importe quel démon, mais à certaines conditions.

Alors c'était possible ? J'allais sûrement me faire réprimander par mes parents s'ils l'apprenaient, je n'avais pas le droit de me mêler des affaires de la famille de quelque manière que ce soit, ils avaient trop peur que je provoque une catastrophe avec mon pouvoir. Mais je n'allais pas reculer maintenant que j'étais si prête d'en apprendre plus sur ce foutu don !

- Alors, peux-tu le faire pour moi, s'il-te-plaît ?

Je n'aimais pas ce ton presque implorant que je n'avais pas pu m'empêcher d'adopter, ni quémander quelque chose, ni dire « s'il-te-plaît », ni... cette phrase en général. Pourtant, il était nécessaire de la prononcer, je ne pouvais simplement pas lui ordonner dire : « Fais-le » comme à un sous-fifre ou à un chien. J'espérais seulement que ces conditions n'étaient pas trop lourdes pour lui. À choisir, j'aurais préféré qu'elles soient pour moi car, après tout, c'était moi qui voulait invoquer ce démon, pas lui.

Hourra, il semblait d'accord mais ces conditions mystérieuses m'inquiétaient de plus en plus. Sachant qu'il invoquerait un démon avec l'anneau du roi des enfers, ça risquait d'être plutôt sanglant et macabre. Je ne m'attendais pas à ce qu'il me demanda.

- Tu vas devoir m'aider alors.

Pas de problème pour moi - c'était quand même dans mon intérêt - mais je trouvais ça bizarre qu'il ne puisse pas utiliser ce pouvoir seul, c'était étonnant. Mais... il avait besoin de moi pour quoi au juste ? Les idées tordues affluaient déjà dans mon esprit.

- Il me faut du sang, beaucoup de sang et des herbes spéciales...

Bon, donc on massacrait toute l'académie puis on allait faire la cueillette dans le parc comme si de rien n'était ? Mauvaise idée. J'aurais tout de même quelques scrupules à tuer autant de gens uniquement dans un but personnel, puis je préférais largement rester ici, sa destruction signifiait que je devrais rentrer chez moi et entrer dans cette vie mondaine que j'exécrais. Oui, mieux valait éviter de décimer la population de Fairy, c'était aussi dans mon intérêt. Je réalisai que je venais d'envisager d'assassiner les élèves de mon école sans broncher. je savais bien que j'étais un monstre, constatai-je en haussant les épaules mentalement.

- Pour tes herbes, ce sera facile, il y a tout dans la serre. Mais pour le sang... Ça risque d'être plus ardu, grimaçai-je.

Je voulais bien qu'on utilise le mien mais, quand il disait « beaucoup » pour moi, ça voulait dire « on te saigne à blanc ». Disons, que j'aurais aimé ne pas en arriver à ce genre d'extrémités. Je soupirai, ça risquait d'être plus compliqué que prévu.

- Cela va te paraître bizarre mais on a pas besoin de sang humain. Mais le plus dur sera de le bénir, perso, je peux pas en toucher.

Soulagement, on allait pas devoir me vider de mon liquide vital. Mais bon, trouver beaucoup du sang, même animal, ça n'allait pas être une partie de plaisir. Et il avait qu'on devrait le... bénir ? Pour un rituel démoniaque ? C'était d'une logique incontestable, me dis-je en fronçant le nez. Donc, et lui ne pouvait pas en toucher, forcément il avait une âme noire comme de l'encre de chine, mais qu'est-ce qui lui faisait croire que, moi, je pourrais ? Ce projet me semblait de plus en plus fou et irréalisable...

- Mais le plus gros problème, cela va être de me rappeler le nom du livre où les incantations sont écrites, elles sont dans une langue que moi seul comprend grâce au pouvoir de l'anneau.

Là, ce fut trop. Pourquoi me dire qu'il pourrait m'aider si il ne se rappelait même pas des formules que nous devrions utiliser. Je perdais mon calme et le voir réfléchir en tournant en rond dans la bibliothèque en arborant cet air exaspéré sur le visage m'agaçait au dernier des points. Je respirai profondément, cela n'arrangea strictement rien néanmoins cela me permit au moins de parler normalement.

- Tu me dis tout ça exprès pour me décourager ou quoi ?

Parce que, oui, là, comme il me décrivait son rituel, ça semblait long et fastidieux, et quasiment impossible dans notre cas. J'étais toujours plus que déterminée à invoquer ce démon mais perdre notre temps à tergiverser de cette manière, je ne pouvais pas le supporter. Zut, je commence à perdre la maîtrise de mes émotions. Bizarrement, pour une fois, ça me fut bénéfique. Je sautai par dessus le fauteuil et ouvrit la grille de la réserve pour attraper un livre à la couverture sombre et le relancer aussi sec vers Ahoru. J'avais visé la poitrine mais mal mesuré ma force, il atterrit un peu trop haut. C'était un des ouvrages qui parlait d'invocations démoniaques et que je n'avais en effet pas pu déchiffrer en entier.

- Tiens, c'est celui-là ton livre.

Parfois, les poussées d'adrénaline ont du bon.

C'était le bon livre, il ne pouvait pas y avoir de doute là-dessus. En plus, le titre, c'était « Invocations démoniaques », je me demandais comment il avait pu l'oublier. Ahoru commença à le feuilleter avec précaution et je dus prendre mon mal en patience, je m'affalai sur le canapé.

- Yata, je l'ai trouvé : Invocation démoniaque.

La partie que je n'avais pas su lire, j'avais cherché des références à la langue dans laquelle elle était écrite mais je n'avais rien trouvé nulle part, comme si elle n'existait pas. Dans ces conditions, j'avais dû abandonner la lecture, l'apprendre pas moi même aurait été trop long. Décidément, on faisait le tour des bouquins que je n'avais pas terminés aujourd'hui. Il passa sa bague au-dessus des caractères de la page qui s'illuminèrent instantanément, puis, il changèrent, semblant prendre une forme compréhensible.

- C'est bon, je l'ai décrypté.

Oui, ben, c'était lisible pour lui mais pas pour moi, me dis-je, regardant par-dessus son épaule - d'ailleurs j'étais appuyée sur lui et sur la pointe des pieds pour mieux voir. À chaque fois qu'il me semblait reconnaître un mot, il se transformait en un charabia indéchiffrable dès que je regardais mieux. Impossible de le consulter pour moi, dommage, j'aimais bien finir ce que j'avais commencé en général.

- Moi, je n'y comprends pas grand chose, c'est un sort ?

Ça devait être ça, sinon, comment expliquer ces lettres changeantes ? C'était quand même assez irritant de savoir que la recette pour invoquer Aahron était là, sous mes yeux, mais que je ne pouvais pas la comprendre uniquement parce qu'un hurluberlu avec un grand chapeau - oui, je sais, c'est cliché mais c'est comme ça que je vois les sorciers - l'avait un jour décidé.

- Comment ça tu n'arrives pas à lire ? dit-il, sourcils froncés.

Ben, je n'arrive pas à lire, quoi... Il prit un petit air extrêmement concentré, je m'attendais presque à le voir se gratter la tête ou même mettre distraitement son doigt dans sa bouche, en proie à sa réflexion. Ça le troublait donc tant que ça que je n'arrive pas à déchiffrer ce livre ? Soudain, son visage s'éclaira, il me prit la main pour m'attirer à lui et m'attrapa par la taille. J'hésitai sur la conduite à avoir. Me raidir ? Prendre la teinte d'une tomate mure ? Me laisser tranquillement aller ? J'optai pour cette dernière solution, celle qui m'attirait le plus.

- Et là tu arrives à lire ?

Franchement, dans l'immédiat, j'avais d'autres préoccupations. Une voix dans ma tête me rappela à l'ordre. Secoue-toi un peu ! Tu dois invoquer ce démon. Le ton était péremptoire, je n'avais pas le choix. Je regardai donc l'ouvrage noir et constatai non sans étonnement que, ça y était, les caractères devenaient lisibles.Je commençai à parcourir les lignes, mes yeux s'arrondissant au fur et à mesure que je comprenais la complexité de l'enchantement. Et, à présent, je me rendais compte de l'importance de posséder cette quantité astronomique d'hémoglobine.

Que dire ? Que faire maintenant ? « Au travail, on y va » ? Je n'avais pas envie de bouger tout de suite, de briser cet instant calme et agréable. Ma détermination se mettait à faiblir... Ce fut encore cette petite voix dans mon esprit qui me remit d'aplomb. Tu en apprendre plus sur ton pouvoir, oui ou non ?! J'allais virer schizo si je continuais à l'écouter comme ça mais elle avait raison. Il fallait que je sache. Je souris et me tournai vers Ahoru.

- Alors, c'est quoi ton plan pour trouver 5 litres de sang ?

Et dire que la plupart des gens avaient peur de prononcer ce mot - moi, c'était tout naturel. Je ne voyais pas pourquoi, ils n'allaient pas finir décapités pour ça. Ah, le petit peuple est superstitieux et craintif. Une des raisons pour lesquelles je le méprisais. Une bande de mouton qui suit aveuglément le berger sans se soucier de savoir où il les emmène. Et s'y c'est dans un ravin, on y court sans s'imaginer une seule seconde que ça pourrait être fatal de s'y engouffrer.

Il recommença à réfléchir pendant quelques secondes puis se tapa le front du plat de la main sans raison apparente. Ok, je n'étais pas la seule à être toquée dans la pièce, ça me rassurait. Ses yeux fixèrent le vide pendant quelques minutes encore avant qu'il se décide à me répondre.

- Je ne sais pas, faudrait trouver une boucherie ou un truc ou y a du sang, quoi.

Mon cerveau se mit à tourner à mille à l'heure. Je sentais l'idée en train d'émerger dans mon esprit mais je n'arrivais pas à la saisir. Il me fallait me concentrer, j'allais trouver. Sang. Animal. Boucherie... Cochon ! Voilà ce qu'il nous fallait. Je frappai mon poing contre ma paume ouverte, signe que j'avais la solution. C'était si simple que je n'y avais même pas pensé tout de suite. Un endroit où l'on produisait du sang en masse tous les jours...

-... un abattoir !

J'avais presque crié, oups. Je me retournai vers Ahoru et vit que... il faisait la grimace. M*rde, me dis-je. J'avais légèrement oublié, en me tapant le poing contre la main que je tenais la sienne ! Je suis un boulet, soupirai-je.

- Désolée...

Tu veux un bisou magique ? Ma nourrice, avant de se faire renvoyer par mes parents, me disait toujours ça quand je me faisais mal. Ça fonctionnait à tous les coups, je me sentais mieux, mon bobo disparaissait. Mais bon, Ahoru était loin d'être un gamin, ce n'était probablement pas la chose la plus appropriée à dire. Quoique... mon petit doigt me disait qu'il ne serait certainement pas contre un « bisou magique », mais pas sur la main. Moi non plus d'ailleurs...

- Ce n'est rien, ne t’inquiète pas.

Tant pis, il l'aurait quand même. Et voilà, un petit baise-main l'air de rien. Bizarre, normalement c'étaient les hommes qui en faisaient aux femmes. Je ne pouvais pas m'empêcher de trouver ça un brin déroutant, les règles de bienséance qu'on m'avait inculqué - presque - de force depuis mon enfance restaient toujours solidement ancrées en moi. Ahoru, lui, parut apprécier et m'embrassa sur la joue en guise de remerciement. J'eus envie de m'exclamer que ma joue allait très bien, qu'il n'y avait pas de raison mais c'était juste parce que j'étais gênée. Les contacts épidermiques, c'était nouveau pour moi.

- Merci Resli, et pour l'abattoir, on le trouve où ?

Bon, dépasse l'événement, Resli, c'est terminé. Je respirai un grand coup. Trouver l'abattoir ? Rien de plus facile. Quand je disais que ma famille était présente partout[, c'était vraiment partout. Y compris dans ce domaine. En fait, ça faisait un peu « Largo Winch », version islando-anglaise. Par chance, j'avais étudié, peu avant d'être envoyée à Lunacy, toutes les filiales de ma future société - ça avait pris plusieurs mois - dont la plupart se trouvaient à Londres.

- J'en « possède » un, répondis-je avec un clin d'œil.

- Oh, c'est vrai ? Bah, c'est un soulagement, me dit-il avec un grand sourire.

Restait maintenant une question de grande importance : aller le chercher ou le faire acheminer pour pouvoir se la couler douce le temps qu'il arrive ? Le choix ne fut pas trop difficile. Je parcourus la salle du regard, à la recherche d'un téléphone. Bingo ! Sur le bureau de la secrétaire, laquelle ronflait bruyamment, la tête renversée sur sa chaise et un filet de bave coulant le long de sa bouche. Charmant.

- Ne bouge pas, je m'occupe de tout.

C'était un ordre, pas la peine de le discuter, il ne fallait surtout pas qu'Ahoru entende la conversation téléphonique que j'allais avoir. Secret de famille. Je saisis le combiné et commençai par composer le numéro des renseignements, je ne demandai pas où appeler l'abattoir mais comment joindre un certain gérant. Ceci fait, je lui téléphonai. Cet homme avait un poste assez haut placé dans la hiérarchie de la société de ma famille mais il n'en faisait pas partie, et il était aussi assez quelconque et insignifiant aux yeux des Sythereen pour que mes parents n'aient pas vent de ce que j'allais faire. Par chance, ils prenaient toujours soin de choisir leurs employés parmi les gens ayant un passé chargé, pour pouvoir faire pression sur eux en cas de besoin. Il ne me fut donc pas difficile de convaincre cet imbécile d'envoyer dans une académie pour adolescents des bidons de sang, et ce, le plus vite possible sans même qu'il ne sache pourquoi. Tout pour ne pas qu'on révèle ses petits secrets. C'était compréhensible et pourtant je ne pus m'empêcher de le trouver méprisable, ne méritant pas plus de considération qu'un vermisseau. Je revins vers Ahoru - qui, ô miracle, n'avait pas bougé - triomphante.

- On a une demi-heure pour aller piquer des herbes dans la réserve avant que la « commande » arrive.

Je songeai au pauvre coursier venant de l'abattoir, peut-être un employé, ou encore plus drôle, un vétérinaire, qui, en ce moment même, devait se ruer, affolé, vers une camionnette, un jerrycan rempli de sang à la main. J'eus presque envie de rire en m'imaginant la scène et me mis à marcher pour reprendre contenance, tenant Ahoru par la main.

- Bah, allez, je te suis.

Il se leva puis, d'un coup, comme ça, sans prévenir, m'attira à lui et plongea son regard dans le mien. Sur le moment, je me mis à paniquer, j'eus envie de lui crier « Baka ! » mais il ne m'en laissa pas le temps. Il rapprocha lentement ses lèvres de ma bouche et les posa sur les miennes. C'était la première fois qu'un garçon m'embrassait - l'autre n'avait pas résisté assez longtemps -, c'était doux, c'était chaud, c'était agréable, c'était trop de chose à la fois pour qu'on puisse le décrire en si peu de temps, c'était... c'était le pied. J'étais tout simplement aux anges. Puis, tout aussi brusquement qu'il m'avait attirée à lui, il se retira.

- Heu... je suis désolé...

Désolé ? Mais de quoi ? Il n'y avait strictement aucune raison. À voir sa tête, on aurait dit qu'il pensait que je lui en voulais. Complètement idiot. Là, j'avais surtout envie de prendre sa tête entre mes deux mains et de lui voler, à mon tour, un baiser. Mais, on n'avait pas le temps, il fallait aller chercher ces fichus ingrédients. Plus tard, c'est promis, plus tard... Plus tard quoi ? Je ne voulais même pas essayer de l'imaginer.

- Je ne vois pas pourquoi tu t'excuses...

Et je lui fis un clin d'œil. Je l'attrapai et nous commençâmes à marcher rapidement vers la réserve. Moi, avec un grand sourire aux lèvres, enchantée... Heureusement qu'on était au beau milieu d'une heure de cours sinon s'en serait déjà fini de ma réputation.

Lorsque je me retournai vers lui, il me sourit. Un sourire sincère, vrai et chaleureux, pas hypocrite comme ceux que j'avais l'habitude de recevoir. J'allais finir par devenir presque gentille à force de fréquenter Ahoru, c'était bizarre et, pour être franche, ça m'effrayait un peu toutes ces sensations nouvelles. Nous continuâmes à courir, il ne nous fallut pas plus de cinq minutes pour trouver la réserve, deux pour crocheter la serrure et trois pour dégoter ce que nous cherchions. Du coup, quand nous arrivâmes dans le hall, même si nous ne nous étions pas pressés en y allant, il nous restait quand même un quart d'heure de battement, à ne rien faire. Enfin, rien de prévu...

Nous nous assîmes sur les marches, autant écœurés l'un que l'autre par tout ce bleu que nous avions oublié dans la petite bibliothèque. Je remarquai pour la première fois qu'il y avait une immense fresque au plafond. Il faut dire que, les deux fois où j'étais passée dans le hall, j'étais soit totalement abattue parce que j'avais tué mon petit ami, soit complètement déroutée parce que je venais de rencontrer... Ahoru. Et maintenant, il était là, assis à côté de moi, je ne me rendais pas compte que je lui serrais fort la main, comme pour le retenir dans le cas improbable où il voudrait partir. J'avais envie de me blottir contre lui et de ne plus jamais bouger de là...

En chemin, Ahoru porta galamment le bidon à ma place, n'oubliant pas au passage de me caresser la main quand il me le prit. Nous retournâmes à la petite bibliothèque et je me dis que l'endroit n'était pas très discret pour commencer un enchantement démoniaque. Je sortis donc le trousseau de clefs de la bibliothécaire de ma poche et me dirigeai vers le fond de la pièce. Eh oui, quand on ne dort pas beaucoup, on a tout le temps nécessaire pour explorer les passages secrets de l'établissement. Une fente à peine perceptible courait le long du mur et un minuscule trou faisait office de serrure. J'ouvris la porte et nous débouchâmes sur un escalier en pierre humide et glissant qui lui-même conduisait à une grande pièce sombre et dépourvue de fenêtres. La salle idéale. Ahoru passa en premier, dès qu'il posa le pied sur la marche, des flammes apparurent sur les torches fixées au murs, la mage embaumait tout, ici. Il m'attira dans la cave sombre.

- Allez, rentre je vais dessiner les runes et symboles nécessaires avec le sang et tu le béniras après.

Sérieusement, j'avais une tête à bénir quoi que ce soit ? C'était presque une insulte à ma condition de méchante. Toutefois, de nous deux, c'était probablement moi la plus apte à le faire, j'avais quand même un ascendant moins « démoniaque » que le sien. Il se mit au travail, retroussant ses manches pour ne pas trop les tâcher de sang - le genre de chose qui ne part pas au lavage. J'aimais bien les symboles sataniques, ils égayaient un peu l'endroit, lui donnaient un air encore plus malsain. Je ferais faire ça dans ma future cave, tiens. Et pendant que je perdais mon temps à rêvasser, Ahoru termina ses dessins. Maintenant, j'allais devoir bénir ce sang, ça allait porter un grand coup à mon honneur. Je déglutis.

- Qu'est-ce qui te fait croire que je vais y arriver ? dis-je, appréhendant ce qui allait se passer.