Alors que nous foncions têtes baissées dans le mur, je parvins enfin à nous téléporter. Malheureusement, j'étais trop faible pour commencer à choisir notre lieu de destination. Il suffisait que nous soyons ailleurs. Une bourrasque de vent chargée de gouttelettes de pluies nous accueillis. Le temps de notre aventure, le beau soleil s'était tâché de gros nuages grisonnants et à présent, il pleuvait. Jun ouvrit des yeux comme des soucoupes sur ma cheville que je m'efforçai de lever pour ne pas faire flancher mes muscles. Ça faisait un mal de chien. Il jeta un regard aux alentours avant de reporter son attention sur moi, ses cheveux blancs en bataille étaient mouillés.
- Ahem... on est où là au fait ?
Très bonne question. J'espérais que nous étions toujours au sein de l'academy ou alors nous allions nous créer de sacrés ennuis, en plus d'avoir un tueur à notre recherche. Je pris le temps d'analyser le paysage et avançai à cloche pied pour me débattre pendant quelques secondes avec des branches d'arbres qui nous brouillaient la vue. J'aperçus le lac en contre bas, ainsi que l'imposante silhouette des bâtiments de l'école à l'horizon. Nous étions partis bien loin de la cours, et je me demandai si la cabane dans laquelle Dimitri et moi étions abrités le mois d'avant était vide. Mais vu l'heure, les gardiens devaient y être, surtout par ce temps.
La pluie était glaciale et balayait les feuilles des arbres en faisant rebondir des gouttes deux fois plus grosses sur mes épaules. Ma chemise blanche à jabot ne ressemblait plus à rien. Le bout des manches avaient été arraché durant ma douloureuse tentative pour déloger les épées de leur socle. Le tissu blanc me collait à la peau, effet de transparence sur la blancheur de mon épiderme. Mon unique botte était pleine de boue due à la flaque dans laquelle j'avais atterri à pieds joints après la téléportation. Mon pied faisait presque craqué le tissu de ma chaussette tellement il gonflait à vue d'oeil, ma cheville enflée et bleue étant quelque chose de pas très ragoûtant.
Commençant à me décourager sérieusement, je poussais un gros soupir en me retournant vers Jun, adossée contre le tronc d'un arbre près du petit précipice de la colline surplombant l'étendue d'eau.
- On est à côté du lac. Je suis épuisée, et avec cette pluie, il faut qu'on regagne l'établissement avant de tomber malade.
Je vais y aller en rampant. Chouette. Énervée contre la situation, je me décalai pour taper rageusement du poing dans l'écorce. Mes phalanges à vifs se mirent à saigner et je frottai ma main contre ma cuisse. J'étais franchement exténuée et j'aurais donné n'importe quoi pour une infirmière aux petits soins et un lit. Avec un gros oreiller. Mais ce n'était pas le moment de se décourager. Oubliant un peu les questions que je me posais sans cesse sur les mystérieux dossiers, je pris l'épaule de Jun et nous avançâmes dans l'herbe, bataillant avec la météo exécrable. A croire que c'était fait exprès pour nous ralentir.
- Si seulement je savais un peu mieux me contrôler ! râlai-je ouvertement. J'aurais pu nous téléporter mieux que ça et nous n'en serions pas là.
Je culpabilisais, en effet. Je m'en voulais. C'était de ma faute si tout cela nous tombait sur le dos. D'abord, je n'aurais jamais dû entrer dans ce foutu bureau. Pour commencer de toute façon, je n'aurais jamais, jamais, jamais dû mettre un pied dans cet academy de malheur.
- Je suis désolée Jun.
Je ne savais pas exactement pourquoi je m'excusais. Je ne contrôlais pas bien mes dons, c'était une petite marque de faiblesse que tous les élèves avaient, je ne pouvais pas être une supernova. De plus, je me débrouillais déjà bien en télékinésie, ce qui était rare chez des extralucides de mon âge. Il n'y avait vraiment pas lieu de se plaindre. Je me ressaisis un peu; nous devions prévenir tout le monde et jouer notre rôle dorénavant. J'avais tout aussi sauvé Jun. J'ignorais ce que cette brute avait eu l'intention de lui infliger, mais je n'étais pas certaine qu'il s'apprêtait à inviter le jeune homme à boire le thé. J'avais eu la trouille, mais c'était pour la bonne cause, et même si je m'étais mise en danger, je ne me mesurais pas l’incommensurable soulagement qu'était le fait de l'avoir près de moi. Seule, j'aurais été davantage vulnérable et j'aurais sans doute perdu mon sang-froid.
Je raffermis ma prise autour de son épaule et lui souris amicalement. Nous avions tout de même vécu quelque chose de peu commun. Enfin, pour ma part, ce n'était pas tous les jours que j'enquêtais sur les secrets enfouis de mon école de magie et me battais contre une sorte de ninja de deux mètres de haut. Croyez-moi, je n'avais pas du tout envie de retenter l'expérience.